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Dr Ishwardutt Nundlall (1926–1984) : Premier docteur en musique de Maurice et architecte d’une pensée sonore créole*

Dernière mise à jour : 3 juin

Par une lecture croisée entre musicologie, anthropologie et histoire culturelle

*Créole au sens d’Édouard Glissant : un espace de métissage, de relation, de création imprévisible à l’opposé d’une vision figée, réduite à une lecture communautarisme ou identitaire.


Dr Ishwardutt Nundlall (1926–1984)
Dr Nundlall (1926–1984) : Premier docteur en musique de Maurice

Une voix pour un monde sonore pluriel

Dans le bouillonnement culturel de l’océan Indien, les musiques ne sont pas de simples expressions esthétiques, mais des vecteurs de mémoire, d’identité et de dialogue. Le Dr Ishwardutt Nundlall, né le 25 avril 1926 à Labourdonnais (île Maurice) et disparu le 30 juin 1984 à Liverpool, fut l’un des premiers à en prendre pleinement la mesure. À la fois ethnomusicologue, pédagogue, compositeur, interprète et passeur d’héritages multiples, il fut le premier Mauricien à obtenir un doctorat en musique — un fait qui, à lui seul, symbolise une rupture intellectuelle et artistique dans l’histoire mauricienne.

À l’intersection des traditions savantes indiennes, de l’héritage colonial occidental et des musiques populaires créoles, Dr Nundlall a su penser la musique comme un lieu d’articulation identitaire, un espace de cohabitation, de résistance et de transformation. Il s’impose ainsi comme une figure pionnière de la musicologie créole à Maurice.



Une formation entre rigueur savante et cosmopolitisme musical

Issu d’un foyer profondément enraciné dans la culture arya samaj et le rituel védique, Nundlall développe dès l’enfance une sensibilité artistique, nourrie par les bhajans chantés par son père, le Pandit Jugnandun Nundlall, prêtre et musicien dévotionnel. Il bénéficie d’une bourse du gouvernement indien pour étudier à l’illustre Bhatkhande Sangit Vidyapith de Lucknow (1950–1957), haut lieu de la musique hindoustanie.

Sa formation s’étend à la musique vocale, au violon, au sitar, et à la notation occidentale, sous la tutelle de maîtres reconnus : V.G. Jog, Ustad Yousouf Ali Khan, Dr Ratangankar et Jutika Roy, entre autres. Il s’initie également à plusieurs langues (hindi, sanskrit, ourdou, bengali), disciplines qui viendront enrichir sa pensée musicologique et littéraire.

Il obtient successivement un diplôme professionnel (1952), un Bachelor of Music (1954), un Master of Music (1957), puis un doctorat en musicologie consacré à la musique du monde (A Survey of World Music).


Music in Mauritius (1957, pub. 1984) : l’acte fondateur d’une musicologie créole

Sa thèse de master, intitulée Music in Mauritius, est aujourd’hui considérée comme une œuvre fondatrice dans l’histoire de la recherche musicale à Maurice. Bien avant l’émergence d’une ethnomusicologie critique dans les années 1980, Nundlall propose une lecture comparative et transversale des répertoires occidentaux, orientaux et populaires présents sur l’île.

Ce travail novateur analyse les musiques en créole, bhojpuri, hindi, anglais et français, répertoriant textes et contextes de performance. Il est également l’un des tout premiers à envisager le séga non pas comme un folklore figé, mais comme un espace d’hybridation, de résistance et de recréation au cœur du processus de créolisation.

Ses recherches s’appuient sur des entretiens avec des figures culturelles locales (Max Moutia, Auguste Toussaint, Philippe Ohsan, Jacques Cantin, Pandit Geerjanan, son père Pandit Jugnandun, etc.) et intègrent la mémoire orale, la transmission populaire, et la musique vernaculaire dans une même cartographie analytique.



Transmission vivante : de l’enseignement aux institutions

De retour à Maurice en 1958, Dr Nundlall adopte une double posture : passeur de savoirs savants et éducateur populaire. Il organise des concerts itinérants dans les villes et villages, ouvre sa maison de La Caverne, Vacoas, aux apprentis musiciens, et enseigne selon la tradition indienne du Guru-Shishya Parampara.

Dans les années 1960, il devient enseignant-formateur au Teacher Training College, puis dans les écoles primaires et secondaires de l’île. Il est également cofondateur de l’École de Musique et de Danse Indienne, établie en 1964 à Beau-Bassin avec M. et Mme Nand Kishore, et intégrée au Mahatma Gandhi Institute en 1976. Il forme des figures aujourd’hui emblématiques de la scène musicale mauricienne (Brinda Gopaul, Rajman Bharuth, Chinayah Uchiah, etc.).

À la radio nationale (MBC), il anime l’émission « Sargam », diffusée pendant plus d’une décennie, et se produit à l’international : BBC (UK), All India Radio, SABC (Afrique du Sud), Kenya, La Réunion.



Entre création musicale, patriotisme et pédagogie

Compositeur prolifique, Dr Nundlall écrit de nombreuses œuvres vocales et instrumentales. Parmi elles :

  • « Mauritius hai desh hamara, jaan se apni humko pyara », chanson patriotique proposée comme hymne national à l’indépendance de 1968,

  • « Mauritius Swarg Sahodaye », hymne composé avec le professeur Ram Prakash,

  • et le ballet musical « Mauritius ki Srishti », créé dans les années 1970.

Ses œuvres intègrent aussi bien les ragas indiens que les formes occidentales, les ghazals que le Rabindra Sangeet, témoignant d’une esthétique plurielle et rigoureuse.



Un legs trop discret, mais vivant

Malgré son influence, Dr Nundlall reste peu reconnu dans l’espace médiatique et académique mauricien. Son héritage, pourtant, est immense : il a jeté les bases d’une pédagogie musicale interculturelle, introduit une pensée comparatiste avant l’heure, et posé les fondements institutionnels de la formation musicale à Maurice.

Sa bibliographie comprend notamment :

  • Dialogues on Music (manuel de notation, en anglais),

  • Music in Mauritius (anglais),

  • Bharat ki Sangeet Kala (hindi),

  • Music Arts in India (anglais),

  • A Survey of World Music (anglais).



Une mémoire à raviver

La disparition soudaine du Dr Nundlall à l’âge de 58 ans, le 30 juin 1984, a laissé un vide dans le paysage culturel mauricien. Mais son empreinte demeure, dans les voix, les instruments, les institutions et les textes. Il a incarné une forme rare d’intellectuel-artiste : celui qui crée, qui transmet, et qui pense la musique comme vecteur de nation, de lien social et de dépassement personnel.





Memorial Lecture on Dr Ishwurduth Nundlall, Mahatma Gandhi Institute, Mauritius (27 avril 2022) https://www.facebook.com/mgirti.org/videos/321240913294240/ In Memory of Dr Ishwardutt Nundlall, Jooneed Jeeroburkhan, Defimedia.info (9 mars 2018) https://defimedia.info/memory-dr-ishwardutt-nundlall

At the initiative of the Northern Association of Indian Music, Sarita Boodhoo (13 juin 2012)


Dr Ishwarduth Nundlall - The Forgotten Maestro, Vishwamitra Aashutosh Ganga (17 juin 2011)

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